27/10/2016
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Actualités

La révolution en marche des pigments « caméléon » de Pessac

Façades changeant de couleur en fonction du temps pour des économies d’énergie, étiquettes de bouteilles se modifiant lorsque le vin est à température: une entreprise girondine a mis au point une nouvelle génération de pigments « intelligents ».

 

Une innovation qui attire de multiples secteurs industriels

Nombreuses sont les Petites et moyennes entreprises (PME) qui rêveraient de connaître la situation d’OliKrom, jeune start-up installée sur le campus universitaire de Pessac, près de Bordeaux: depuis son lancement en octobre 2014, pas un jour sans qu’une dizaine d’entreprises ou de groupes industriels ne l’appellent, intéressés par la technologie innovante mise au point depuis quelques années par son fondateur, Jean-François Létard.

Chimiste au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) pendant 17 ans, l’entrepreneur s’est spécialisé dans les pigments « intelligents » capables de réagir, en changeant de couleur, à la température, la lumière ou la pression. A partir de 2005, les brevets s’accumulent et le chercheur décide de franchir le pas de l’entrepreneuriat.

Une formation en école de commerce et quelques années d’incubation plus tard, OliKrom est lancée. Et les industriels accourent. Car, explique Jean-François Létard, ils attendaient depuis longtemps le renouvellement des technologies, après l’apparition « il y a une quarantaine d’années » des premiers pigments capables de changer de couleur, mais « qui ne résistaient pas aux ultra-violets, avaient des problèmes d’usure et pouvaient être toxiques ». Les procédés mis au point par OliKrom permettent ainsi aux « molécules de changer de conformation, et donc de couleur », « avec le moins de perturbations possibles », autorisant d’ailleurs des modifications très précises, réversibles ou irréversibles. La « rapidité » et la « non-fatigabilité » du processus sont également au cœur des nouveaux matériaux, souligne le chercheur.

 

Des applications infinies

Autre facteur crucial de « l’hyper croissance » de la jeune société, qui compte sept collaborateurs et prévoit le lancement d’un site industriel d’ici à fin 2015 grâce à une récente levée de fonds de 740.000 euros: les champs d’application semblent tout simplement … infinis. Les secteurs du luxe, du design, de la décoration, de la mode, avec les textiles intelligents, ont déjà manifesté leur intérêt pour les peintures, vernis, encres ou granulés de plastique produits par l’entreprise.

On peut imaginer des flacons de parfum qui changent de couleur, des objets personnalisés confie Jean-François Létard, mais sans fournir plus de détails, soucieux de confidentialité.

« Cela peut être utile pour la lutte contre la contrefaçon, grâce à des marquages dissimulés se révélant sous une certaine lumière ou à une température donnée, pour la sécurité alimentaire grâce à des code-barres qui changent de couleur de manière irréversible lorsque la chaîne du froid a été rompue… », énumère Camille Tanguy, chargée d’affaires.

L’architecture ou le sport offrent aussi de multiples débouchés : rideaux s’opacifiant au soleil, stockage de lumière à travers des plafonds luminescents, terrain de tennis changeant de couleur à l’impact de la balle pour l’arbitrage… D’autant que les « combinaisons » des propriétés des pigments paraissent « illimitées », souligne Clément Chatelier, responsable de laboratoire.

Mais un des plus vastes champs d’application de cette révolution technologique est, sans nul doute, celui de la sécurité, notamment industrielle. OliKrom travaille déjà avec les groupes Airbus et Safran sur les pièces qui équiperont les avions de demain, car, pour la maintenance, « un des enjeux, c’est d’être capable de voir rapidement si une pièce a subi un choc anormal ». Dans les usines, les traces d’usure des équipements pourront, de la même façon, être « contrôlées de visu ». On peut également imaginer une réduction des accidents du travail ou domestiques grâce au changement de couleur d’outils ou d’ustensiles soumis à des températures élevées ou encore une modification de couleur des portes de sécurité en cas d’incendie…

Et que dire des possibilités ouvertes par des pigments capables de réagir à la présence de gaz ou de solvants, sur lesquels l’entreprise poursuit ses recherches ?

« Le marché est immense, d’autres entreprises vont s’y mettre« , prédit Jean-François Létard, qui se félicite que cette technologie innovante soit française, tout en soulignant l’importance de l’écosystème d’aides publiques qui lui ont permis de mûrir son projet. Et, à l’image de ses pigments « caméléon », de passer sans difficulté du statut de chercheur à celui d’entrepreneur.